Vous reprendrez bien un peu de Before Bach en attendant son deuxième chapitre ?
Pour se préparer à l’arrivée de Glück Auf !, deuxième volet de la collaboration entre Rodolphe Burger et Erik Marchand à paraître le 27 août prochain, quoi de mieux que de se (re)plonger dans ce qui aura forgé la solide union musicale entre les deux hommes ? L’album BEFORE BACH, sorti en 2004, est désormais disponible en version numérique (format MP3 ou wav) sur la boutique de Dernière Bande : cliquer juste ici.
Afin d’éclairer votre écoute, Rodolphe Burger se propose de revenir sur cette œuvre majeure de sa carrière.
Peux-tu nous parler de la rencontre avec Erik Marchand ?
« La rencontre avec Erik Marchand, je m’en souviens très bien. J’étais venu présenté en live le projet Hôtel Robinson, disque enregistré avec Olivier Cadiot à l’île de Batz en Bretagne, sorti en 2002. Il y a eu un concert assez mémorable au théâtre de Morlaix à cette occasion. Et j’avais proposé à Joran le Corre, qui organisait le Festival Panorama, de convier des musiciens, plutôt bretons.
C’est à partir de là qu’il a contacté – je crois qu’il lui a même écrit une lettre – une éminence: Erik Marchand, qui est la figure la plus respectée en Bretagne, à la fois pour sa connaissance des musiques traditionnelles modales mais aussi pour ses qualités de chanteur. Il a d’ailleurs créé l’Académie des musiques modales. C’est quelqu’un de très respecté mais aussi de très intimidant.
Dès le départ lorsque l’on s’est rencontré, il me dit : « Je vous préviens, je ne connais rien aux musiques harmoniques ». Et moi je lui réponds que je ne connais pas grand-chose aux musiques modales. La musique modale, pour résumer simplement les choses, c’est une musique qui n’est pas basée sur des modulations harmoniques. C’était vraiment une rencontre entre des mondes.
Et ce qui a permis que l’on trouve rapidement un terrain d’entente, c’est que je venais de faire pour la première fois une expérience avec des musiciens justement issus de la musique modale. J’avais été invité à Strasbourg pour collaborer avec l’Ensemble Kaboul, des musiciens Afghans. Je marchais sur des œufs, j’étais très intimidé. J’ai fini par me laisser aller à l’inspiration. Ils attendaient de moi que j’envoie un son très électrique…
Celui qui a également été très important dans le projet dès le départ, celui qui a fait l’articulation entre nos deux mondes, c’est Mehddi Haddab, qui jouait du oud électrique et qui a la double culture. »
Peux-tu nous parler des circonstances qui ont amené à la création de ce premier album ?
Il se trouve qu’assistait à ce concert au théâtre de Morlaix Jacques Blanc, directeur du théâtre de Quartz à Brest. Il nous connaissait très bien tous les deux et fut étonné de cette rencontre. Il nous a rapidement proposé de faire une résidence au Quartz, une création commune, c’est à dire de constituer un répertoire.
Et c’était suffisamment probant dès la première fois pour que l’on ait eu envie de continuer. On est ni l’un ni l’autre partisans des collages, des mélanges, du mixage… C’est pas forcément quelque chose qui m’intéresse, mettre de l’électro sur des musiques traditionnelles etc. Ce qui se fait beaucoup. Ce qui m’intéresse, c’est plus une rencontre entre des musiciens, qui viennent avec leur bagage, leur culture, leur connaissance, mais qui viennent surtout avec leur musicalité propre. Et ce qui compte, c’est l’articulation entre ces sensibilités musicales là.
On a donc transformé cette résidence en studio en Alsace car cela nous permettait, en même temps que l’on constituait ce répertoire en vue du concert au Quartz, de l’enregistrer. C’est ainsi qu’un disque est né en même temps que la préparation du live. »
Peux-tu nous parler de la manière dont vous avez composé et constitué ce répertoire ?
« Pour le premier morceau que l’on a fait, « Montroulez », Morlaix en Breton, on est parti d’une boucle rythmique que j’avais récupéré de ma collaboration avec l’Ensemble Kaboul, et qui lui a inspiré un chant qu’il connaissait, déjà existant, mais que l’on a réarrangé différemment. J’ai introduit des harmonies dans une musique qui, à priori, n’en comporte pas.
Pour le reste, il y avait des textes originaux d’écrits, en breton. Pour ma part, j’ai amené des morceaux existants , dont je me disais qu’ils pourraient fonctionner dans ce contexte-là. « Ethics of love » par exemple, que j’ai repris bien des fois dans des versions très différentes.
Il y a également un morceau qui s’appelle Enez Vaz, originellement appelé « Totem et Tabou », présent sur l’album Hôtel Robinson, et qui a été l’un des points de départ au fond de notre rencontre, puisque celui-ci a inspiré un chant et un texte à Erik.
Mais l’exemple le plus pur de notre jonction, je dirais que c’est le morceau Poullaouen Blues. Erik chante et moi je joue de la guitare. Quand je me suis mis à essayer de l’accompagner, très spontanément, il m’est venu une harmonisation blues. C’est l’intérêt du blues, c’est à la fois une musique harmonique et une musique modale. Il y a des modulations, les fameuses quarts, tierce, mineurs etc mais c’est comme si les modulations dans le blues ne venaient pas rompre la modalité. »
Peux-tu nous parler de la signification de ce titre : Before Bach ?
« C’est un jeu de mot évidemment : B for Bach, B pour Bach. Mais cela signifie aussi : avant Bach, parce que, dans cette espèce de jeu de rôle, Erik étant le représentant de la musique modale et moi d’une musique plus harmonique, c’est comme si la musique avait commencé à dégénérer avec Bach, c’est à dire au moment où Bach, d’abord, tempère la musique. Le tempérament égal, c’est quelque chose qui est généralement considéré comme une grande avancée et qui en même temps peut être considéré comme un appauvrissement, puisqu’à partir de là, la musique perd toute une frange expressive que sont les micro intervalles: les quarts de ton, les huitièmes de ton, ça peut aller plus loin même dans la musique indienne, il y a d’infinies nuances. Alors que, dans la musique occidentale dominante, on a des tons et des demis tons. Même le quart de ton disparait. Et si on fait disparaitre le quart de ton de la plupart des musiques traditionnelles, modales, on perd littéralement l’essentiel des ressources mélodiques »
Peux-tu nous dire deux ou trois mots sur le chapitre 2 à venir ?
« Récemment, on a été invités à jouer à Langonnet un festival très accueillant en terme de provenances musicales et ça a vraiment révélé comme une évidence : il fallait qu’on écrive un deuxième chapitre, que l’on a intitulé Glück Auf !. Le temps passant, les choses peuvent s’user et là c’était l’inverse. On a trouvé ce répertoire avec lequel nous étions encore plus à l’aise. Et le public était encore plus enthousiaste. Les temps ont un peu changé aussi. Evidemment le premier projet a rencontré son public tout de suite mais j’ai l’impression que y’a encore plus d’engouement potentiel pour cette proposition-là.
Erik dit, et je crois qu’il a raison, que ce nouveau disque est plus mûr… Il y a quelque chose qui va plus loin dans le tressage. Et aussi dans la place que chaque musicien a pu prendre. »
Pochette du nouvel album
Artwork : Cédric Scandella