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Label
Dernière Bande
Date de Sortie
2021
Édition
Dernière Bande

Crédits

Rodolphe Burger guitare, chant • Érik Marchand chant • Mehdi Haddab oud • Pauline Willerval chant, gadoulka • Julien Perraudeau claviers, basse, programmation  Arnaud Dieterlen batterie •  enregistrement Léo Spiritof au studio Klein Leberau (Alsace) • mixage Luc Tytgat montage Julien Perraudeau • mastering Jean-Pierre Chalbosartwork Cédric Scandella production exécutive Michaëlle Rochassistance Anna Lamotte d’Argy

Track Listing

01KAZANOVA
02KARA TOPRAK
03C’EST DANS LA VALLÉE
04LA MINE
05NUIT ALBANAISE
06WASTE LAND
07JOHN HENRY
08EISBÄR

17 ans après, Rodolphe Burger et Erik Marchand donnent une suite à leur collaboration avec un tout nouvel album

VOUS reprendrez bien un peu de Rodolphe Burger vs. Érik Marchand ?

Au carrefour de leurs pérégrinations mutuelles, le rockeur alsacien, ex-leader de Kat Onoma, et le célèbre chanteur breton, avaient trouvé en 2004 un terrain d’entente musicale, en réponse à une commande artistique du Quartz de Brest. L’album Before Bach paru sur Dernière Bande, fruit de leur union, marquait une étape importante dans leurs carrières respectives. Aujourd’hui, soit 17 ans plus tard, les deux artistes et amis retrouvent le chemin de la scène pour y honorer un tout nouveau répertoire, concocté à nouveau dans le studio Klein Leberau à Sainte-Marie-aux-Mines. Son nom? Glück Auf! « Bonne chance » en allemand, en référence à une devise d’entraide prononcée par les mineurs : « pourvu que tu trouves du minerai, et pourvu que tu reviennes vivant ». Quel ne fut pas l’étonnement de Rodolphe Burger et d’Érik Marchand lorsqu’ils découvrirent que deux experts/consultants en charge des mines de Sainte-Marie-aux-Mines et de Poullaouen, leurs villages natals, avaient tour à tour travaillé dans ces deux lieux. Une drôle de coïncidence qui ne peut être que le signe de la prédestination à ce duo musical. Réellement duo? Pas tout à fait, puisque ce nouvel opus élargit les horizons. On y retrouve leur entremetteur fétiche : le joueur de oud franco-algérien Mehdi Haddab, déjà présent sur Before Bach. Mais Glück Auf ! creuse profondément, et non plus seulement à l’étage de la musique bretonne et du rock, bien que les mots d’ordre restent ceux initiaux : tradition et modernité.

On toque dorénavant à la porte de la culture balkanique, incarnée par la gadoulka (violon bulgare) de Pauline Willerval, pour ensuite partir à l’autre bout du monde déterrer certaines racines blues. Soutien primordial, la section rythmique est composée de Julien Perraudeau et d’Arnaud Dieterlen, compagnons de route bien connus de Rodolphe Burger.

En tant que première étape de cet ambitieux périple, «Kazanova» se charge d’allumer la mèche. Inspiré d’«Ar Froudennou », chanson composée par Titi Robin, ce morceau d’ouverture rugit dans un entrelacement d’influences. Les boucles de la gadoulka sont érigées en pulsations obsessionnelles qui, lorsqu’elles sont combinées aux déferlantes de oud et de guitare, s’essayent à générer une nouvelle forme de transe. Comme orchestre de cette escalade sonore et électrique : la dispute amicale entre deux partenaires de chant. Celui rigide et redoutable d’Érik Marchand compose avec celui plus placide et flegmatique de Rodolphe Burger, dont l’énumération d’exclamations à la première personne sert d’initiation au grand Voyage (territorial, musical, spirituel, textuel…) auquel est convié tout être atteint par le sort amoureux, vorace d’oscillations et de fougue nomade.

C’est sur les traces du précédent album de Rodolphe Burger ENVIRONS que Glück Auf ! poursuit quelques-unes de ses construc[1]tions. Art de la reprise : «John Henry», entre l’ancrage de Woody Guthrie et l’exaltation de Van Morrison, Rodolphe Burger et Érik Marchand donnent ici leur propre interprétation d’un mythe américain, celui du working class hero confronté à l’arrivée du machinisme. Déguisée en harmonica, la gadoulka reprend les sonorités lancinantes d’une Amérique profonde, accompagnée d’une guitare blues et d’une rythmique faisant entendre le labeur ouvrier. Frères de «John Henry», les morceaux «C’est dans la vallée», également connu sous le nom de «Moonshiner», et «Waste Land », déjà présent sur l’album GOOD (Rodolphe Burger, 2017), donnent eux aussi une place centrale à l’Amérique. Le premier est une chanson traditionnelle que Bob Dylan s’est dignement appropriée dans une version intime et minimaliste, et à laquelle Rodolphe Burger s’est maintes fois attaqué (albums On n’est pas des indiens, Meteor Show, Valley Session). Le second est un poème de T.S Eliot mis en musique par Rodolphe Burger, ici accompagné d’un texte additionnel de Myriam Guillevic inspiré de l’écrivain albanais Ismaïl Kadaré

C’est de ces surprises additionnées que jaillit le caractère impulsif et imprévisible propre à ce second chapitre. Parmi les plus vitaminées : «Kara Toprak » et «Nuit Albanaise», symétriques dans leur équipement instrumental. La première est une reprise d’un morceau traditionnel turc d’Âsik Veysel, interprétée par Pauline Willerval au chant. Comme moteur, une généreuse ligne de basse électro qui trace la route à toute vitesse. Superposée à elle, la gadoulka s’évertue à tenir la cadence dans une trajectoire épileptique, avant que l’intervention vocale de Rodolphe Burger, dans une traduction française du texte original, ne ralentisse cette boucle infernale par un moment suspendu, comme une éclaircie soudaine qui viendrait embellir encore davantage cette Terre Noire que le poète turc met à l’honneur, berceau d’un amour pur et fidèle. De l’autre côté de la route, où la même basse électro met en branle la vallée jusqu’à atteindre ses contrées voisines, «Nuit Albanaise» établit une ambiance festive, un folklore entraînant soutenu par l’investissement de deux voix éperdues : celles d’Érik Marchand et de Pauline Willerval. Glück Auf ! nécessitait un peu d’effervescence et de lâcher prise suite au coup de rivelaine bien aiguisée qu’est « La Mine», longue et inquiétante descente traversée par une rythmique tout droit sortie d’un film de John Carpenter. S’équipant d’une carapace dans sa seconde moitié, ce quatrième morceau tourne bientôt à la tourmente avec les envolées hallucinatoires d’Érik Marchand, qui rend ici hommage à son maître de chant Manuel Kerjean

C’est en Suisse allemande, sur les traces du groupe Grauzone, que ce deuxième chapitre termine son périple. « Eisbär », c’est la consécration finale, l’allégresse débordante, l’ultime témoignage de la plénitude d’une formation musicale heureuse de s’être trouvée. En contrepied de la version originale, au son froid et synthétique, Rodolphe Burger et Érik Marchand agrémentent leur reprise d’un souffle chaud et convivial. Les voix se pourchassent et s’emmêlent, jusqu’à cohabiter pour un dernier saut dans le vide libérateur. Glück Auf! s’éteint en voyant revenir avec du minerai les mineurs de tous les horizons. En rangeant le disque, jamais trop loin de la platine, nous regardons la pochette d’un nouvel œil. Qui sont ces indiens? Ils font partie de ces photos que l’on trouve dans un grenier, dont on ne sait pas grand-chose, mais qui, à leur vue, nous inspirent mille sentiments. Si nous devions n’en retenir qu’un de celle-ci, nous opterions pour la réjouissance. Car Glück Auf!, c’est avant tout le cœur battant de la Rencontre, celle avec un grand R, là où s’amusent les pilotes de la nuit «en appuyant à mort».

Léonard Pottier

Extraits

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